Une tribune intéressante publiée sur le Huffington Post Québec, ce n'est peut-être pas votre point de vue, mais ça a le mérite d'être mesuré.
Les annonces sur l'évolution future des cours tendraient à confirmer que la prévision économique n'est pas du ressort de la science, mais de celui de l'art ou de l'illusionnisme.
Au travers de tous les propos tenus sur les cours du bitcoin et des autres monnaies cryptées, on hésite entre provocations, prédications, pronostics, prospectives et prosélytisme. Les annonces sur l'évolution future des cours tendraient à confirmer que la prévision économique n'est pas du ressort de la science, mais de celui de l'art ou de l'illusionnisme.
Pour exemple, la banque danoise Saxo Bank produit chaque année ses « Outrageous Predictions ». Celles dans lesquelles on ne devrait pas se lancer si on était un prévisionniste sérieux. Parmi les « outrages » pour 2018 on trouve que le bitcoin atteindra 60 000 dollars l'unité pour retomber à 1000.
Les cours du bitcoin parlent-ils de sa valeur ?
Nombre d'économistes ont réagi vigoureusement, et certains professionnels violemment, non pas sur le prix du bitcoin, mais sur sa valeur. Ou bien disons-le d'une autre façon : le prix du bitcoin serait une inconséquence socio-économique car c'est « un actif sans valeur fondamentale fluctuant au gré des croyances et des humeurs » (tribune dans le « New York Times » par le prix Nobel d'économie Robert Shiller). En France, c'est Jean Tirole, prix Nobel en 2014, qui déclarait au Financial times :
C'est un « actif sans valeur intrinsèque » soulignant l'absence de réalité économique derrière la cryptomonnaie lancée en 2009.
Morgan Stanley éditait récemment une note de recherche concluant qu'il est difficile de justifier la valorisation du bitcoin. Fin décembre 2017, l'analyste de la banque, James Faucette et son équipe ont envoyé une note à leurs clients « suggérant que la valeur réelle du bitcoin pourrait être de... 0 ». Warren Buffett, dont les talents de gestionnaire de fortune ne sont pas contestables, a prédit « une fin tragique à la star des cryptomonnaies. Jamie Dimon, le PDG de JP Morgan, a qualifié le bitcoin d'«escroquerie » (« A fraud »), lors d'une conférence donnée en septembre à New York.
On ne mentionnera pas tous les gestionnaires et stratégistes privés qui les uns après les autres en appellent à la raison ou déclarent que les crypto-monnaies dont le bitcoin, sont des non-valeurs.
D'un autre côté, il y a les fans, les visionnaires, ceux qui croient que le monde est en train de changer et qui voient dans les monnaies cryptées, les ICO's et la technologie blockchain, la fin d'un monde de restrictions, d'un univers liberticide, hostile à l'innovation, etc. Ceux-là offrent un incroyable éventail de valeurs possibles, ce qui en matière de prévision donne la mesure de leur absence de sérieux. Donc, on passe de 50 000 à 500 000 et même 1 million. Dans un débat avec le CEO de Paypal, le dirigeant d'une startup Xapo, Wences Cesares, par ailleurs membre du board de Paypal, indiquait qu'il y avait 20% de chances pour que le bitcoin ne vaille rien, soit 80% de chances pour l'inverse et qu'il grimpe jusqu'à un million pourvu que les porteurs soient patients : cela prendrait de 5 ans à 10 ans.
C'est une position classique : cela vaudra cher demain. On relèvera que dans la gestion de fortune de base, menée par des gestionnaires rustiques discutant avec la veuve de Düsseldorf sur la baisse surprenante de valeur de son portefeuille, le mot patience rime avec résilience. Il faut attendre, "Rome ne s'est pas faite en un jour". "Les pertes d'aujourd'hui sont les gains de demain", etc.. Les cours du bitcoin fluctuent : les lendemains chanteront.
De quelles « valeurs » tirer un prix du bitcoin ?
Pour essayer de comprendre un prix, il n'est pas mauvais de s'interroger sur la valeur du bien ou du service concerné.
Le bitcoin, annoncent ses fans, c'est le fait pour Jim le Canadien d'envoyer de l'argent, disons 100 euros, à son copain, Julien le Français, en se passant des banques : c'est rapide, pas cher, anonyme, et communautaire. Dans la réalité, le bitcoin est probablement une des monnaies les plus lentes de la planète avec un degré élevé d'insécurité et de lenteurs. On ne compte plus, les petits virements qui mettent des siècles pour parvenir à leurs destinataires, les achats de bitcoin ou les ventes (la rapidité est importante quand les cours s'effondrent) qui poireautent pour cause d'encombrement, des « coins » qui se sont perdus dans les tuyaux (on ne parle pas ici de hackers mais de simples bugs !).
Tout ceci a abouti à ce qu'une plateforme d'échanges ait supprimé toutes références à la rapidité et même à « l'avantage-prix ». De fait, les coûts sont de plus en plus élevés. Il est même recommandé que Jim et Julien passent par des systèmes traditionnels : sûrs, rapides et ... moins onéreux lorsqu'il s'agit de petites sommes.
Dans "L'or des Imbéciles ('Fool's Gold'), Quinlan Associates, estime que le prix actuel ne serait pas justifié – qu'on le considère comme une réserve de valeur ou comme un moyen d'échange. "En tant qu'actif, nous avons valorisé le Bitcoin en ayant recours à une approche liée à la théorie des coûts de production ainsi qu'à une approche de réserve de valeur, et nous sommes parvenus à des valeurs respectives de 2 161 et 687 dollars... »
En réponse et parce que le bitcoin ne peut pas se positionner comme une monnaie de règlement, ses défenseurs le présentent comme un actif financier, un conservateur de valeur. On comprend mieux les grandes déclarations sur le thème « soyez patients, il faut savoir attendre, etc ».
Poussés dans leurs retranchements, les fans, cyniques ou convaincus, se réfugient dans une dernière vertu : l'anonymat permettant de jouer contre les fiscs et ... les polices du monde entier.
Le rôle « dark » du bitcoin a été dénoncé à de multiples occasions. Mais, en suivant un auteur, Thomas Philippon, c'est probablement le meilleur biais pour bâtir une méthode d'évaluation : la valeur du bitcoin tient à sa capacité à dissimuler des sources de revenus et leur conservation. L'analyste part d'un calcul sur la demande: il estime qu'elle portera sur 2,8 trillions de dollars pour effectuer des transactions illicites. À ce titre, explique-t-il, le cours des cryptomonnaies pourrait donc encore être multiplié par 5 ou 6. (15 000 pour le bitcoin au moment où l'article était écrit) « Anticipant ce phénomène, les investisseurs achètent massivement des bitcoins. C'est ce qui explique, selon moi (T.Philippon) une part importante de la flambée récente des cours ».
Évidemment, cela suppose que les Etats laissent faire... or, c'est tout l'inverse qui se passe, les réactions des Etats devenant de plus en plus vives avec un éventail assez large depuis l'interdiction pure et simple jusqu'à la simple régulation.
Quand le Bitcoin tente de se faire passer pour une monnaie « libre » et prétend que là se trouve sa vraie valeur ne doit-on pas conclure qu'on ne pourra jamais justifier son cours....?
Cela expliquerait que de nombreux commentateurs se défaussent du problème de la vraie valeur du bitcoin en soutenant qu'on la trouve dans la blockchain !
Source :
http://quebec.huffingtonpost.ca/pascal-ordonneau/le-prix-du-bitcoin-a-t-il-un-rapport-avec-sa-valeur_a_23343339/