Author

Topic: [TRADUCTION ARTICLE] Les particularité des cycles de vie de la Blockchain (Read 320 times)

sr. member
Activity: 812
Merit: 345
Attention "pavé, César.."

Traduction libre d'un article très intéressant de Daniel Heyman, ingénieur Protocole chez Consensys et Pegasys Tech (source: https://hackernoon.com/why-blockchain-differs-from-traditional-technology-life-cycles-95f0deabdf85)

Pourquoi les cycles de vie de Blockchain diffèrent-ils de ceux des technologies traditionnelles ?
Pourquoi une autre bulle est probable et sur quoi l'écosystème Blockchain devrait se concentrer maintenant


Au lendemain de la bulle Internet de 2001, Carlota Perez publie son célèbre ouvrage "Technological Revolutions and Financial Capital". Ce travail fondamental offre un cadre de lecture sur la façon dont les nouvelles technologies créent à la fois des opportunités et provoquent des bouleversements dans la société. J'ai d'abord entendu parler du travail de Perez par l'intermédiaire de Fred Wilson, spécialiste du capital-risque, qui le considère comme l'une des principales fondation intellectuelles de ses thèses sur l'investissement.

Dans la foulée de la bulle des ICO de 2018 et mettant en avant le prétendu potentiel de la blockchain, nombreux sont ceux qui ont établi des parallèles avec la bulle de 2001. J'ai récemment relu le travail de Perez pour voir s'il y avait des leçons à en tirer pour l’écosystème blockchain, et pour comprendre les parallèles et les différences entre le passé et le présent. Comme Mark Twain le disait (ou pas), "L'histoire ne se répète pas, mais elle rime."

Rappel du contexte

Dans "Révolutions technologiques et capital financier", Carlota Perez analyse cinq " explosions de développement " qui se sont produites au cours des 250 dernières années, chacune à travers la diffusion d'une nouvelle technologie et de la manière associée d'en tirer du business. Ces explosions sont encore bien connues des centaines d'années plus tard : la révolution industrielle, le boom ferroviaire, l'ère de la sidérurgie, l'ère de la production de masse et, bien entendu, l'ère de l'information. Chacune d'entre elles a créé un élan de développement, de nouvelles façons de faire des affaires et une nouvelle classe d'entrepreneurs prospères (de Carnegie à Ford en passant par Jobs). Chacune d'entre-elles a créé une nouvelle dynamique économique et un ensemble de modèles d'affaires qui ont soutenu la nouvelle technologie, que Perez à baptisé " paradigme technico-économique ". Chacune de ces poussées a également évincé d'anciennes industries, provoqué l'éclatement de bulles et induit d'importants bouleversements sociaux.

Cycles de vie de la technologie

Perez propose un canevas sur la façon dont les nouvelles technologies s'implantent d'abord dans la société et la transforment ensuite. Elle appelle la phase initiale de ce phénomène "l'installation". Pendant l'installation, les technologies illustrent de nouvelles façons de faire des affaires et d'obtenir des gains financiers. Cela crée généralement une frénésie d'investissement dans la nouvelle technologie, ce qui entraîne une bulle et une expérimentation intense de cette technologie. Lorsque la bulle éclate, la récession (ou dépression) qui s'ensuit est un point charnière permettant de mettre en œuvre des changements sociaux et réglementaires afin de tirer parti de l'infrastructure créée durant cette frénésie. Si ces changements sont apportés, il s'ensuit généralement un "âge d'or" durant lequel la nouvelle technologie est déployée de manière productive. A défaut, il s'ensuit un "âge doré" dont seuls les plus riches bénéficient. Dans un cas comme dans l'autre, la technologie finit par atteindre sa maturité et les nouvelles possibilités d'investissement et de rendement dans la nouvelle technologie se réduisent. C'est alors que les conditions sont réunies pour qu'une nouvelle technologie fasse irruption sous les feux des projecteurs.

Instantané des révolutions technologiques et du capital financier - Inclusion et Exclusion

Dans le schéma de Perez, les nouveaux paradigmes technico-économiques encouragent et découragent l'innovation simultanément, à travers un processus d'inclusion-exclusion. Cela signifie qu'au fur et à mesure que de nouveaux paradigmes technico-économiques se déploient, ils offrent aux entrepreneurs de nouvelles possibilités de mobilisations et de nouveaux modes de gestion afin de créer de la croissance, tout en excluant des technologies alternatives parce que les entrepreneurs et le capital suivent la voie nouvellement ouverte offerte par le paradigme techno-économique. Lorsqu'une technologie existante arrive à maturité et que les possibilités d'investissement diminuent, les capitaux et les talents partent à la recherche de nouvelles technologies et de nouveaux paradigmes technico-économiques.

Technologies composites

Une nouvelle technologie ne suffit pas à elle seule pour établir un nouveau paradigme technico-économique. L'ère de la production de masse n'a été possible qu'en combinant l'huile et le moteur à combustion. Les chemins de fer avaient besoin de la machine à vapeur. L'ère de l'information exigeait le microprocesseur, l'Internet et bien plus encore. Souvent, une technologie va, comme le dit Perez, "germer" en tant que petite amélioration au techno-paradigme existant, jusqu'à ce que des technologies complémentaires soient créées et que le processus d'exclusion de l'ancien paradigme prenne fin. Les technologies antérieures peuvent  co-exister pendant cette période de gestation pendant un certain temps jusqu'à ce que l’ensemble s'harmonise et  que la période d'installation commence.

Frénésies et bulles

À bien des égards, les bulles créées par la frénésie de la phase d'installation permettent à la nouvelle technologie de réussir. La bulle crée une explosion des (sur)investissements dans l'infrastructure de la nouvelle technologie (chemins de fer, canaux, câbles à fibres optiques, etc.). Cette infrastructure permet à la technologie de se déployer avec succès après l'éclatement de la bulle. Les bulles encouragent également l'expérimentation de nouveaux modèles d'affaires et de nouvelles approches technologiques, permettant aux futurs entrepreneurs de suivre des voies éprouvées et d'éviter les pièges communs. Même si la bulle implique de larges pertes financières et de nombreuses difficultés économiques, elle peut être cruciale pour l'adoption de nouvelles technologies.

Relier les points


Un rapide coup d'œil au cadre de Perez pourrait nous laisser supposer que 2018 a représenté la frénésie et la bulle de la blockchain, nous devrions donc arriver au "point charnière" de cette industrie. Ce serait une erreur.

Mon analyse du cadre de Perez suggère que la blockchain est encore en gestation, dans les premiers jours d'un cycle de vie technologique avant la période d'installation. 2018 n'a pas été marqué par la frénésie et une bulle de type Perez parce qu'elle n'a pas inclus les résultats clés nécessaires pour atteindre un point-charnière: des améliorations significatives de l'infrastructure et des modèles économiques reproductibles pouvant servir de feuille de route pendant la période de déploiement. La bulle est apparue tôt parce que la technologie blockchain a permis d'obtenir des liquidités plus tôt dans son cycle de vie.

Il y a trois conséquences principales au fait de demeurer dans la période de gestation. Tout d'abord, une autre période de frénésie et de bulle basée sur la blockchain est susceptible d'advenir avant que la technologie ne mûrisse. En fait, de multiples bulles nous attendent peut-être. Deuxièmement, le meilleur moyen d'y parvenir est de s'appuyer sur le paradigme technologique existant plutôt que de s'y opposer. Troisièmement, l'écosystème doit investir massivement dans l'infrastructure pour qu'un nouveau paradigme basé sur la blockchain émerge.

La bulle des ICO ne correspond pas à ces critères


2018 a montré de nombreux signes d'une " période de frénésie " à la Perez impliquant l'arrivée d'une charnière. La meilleure façon (et finalement la pire façon) de gagner de l'argent était la spéculation. Les " éléments fondamentaux " des projets avaient rarement de l'importance dans leur évaluation ou leur croissance. La richesse a été célébrée et des gourous ont été écoutés. Les espérances ont grimpé en flèche. Les escroqueries et les fraudes sont devenues courantes. Les investisseurs particuliers se sont mis à accumuler de peur de rater l'aubaine. La frénésie avait tous les signes évidents d'une bulle classique.

Bien qu'il n'existe pas de "bonnes bulles", les bulles peuvent avoir de bons effets secondaires. Pendant la Canal-Mania et et la Railway-Mania, on construisit des canaux et des chemins de fer qui avaient peu de chances d'être rentables un jour. Les investisseurs ont perdu de l'argent, mais une fois la bulle résorbée, ces canaux et ces chemins de fer étaient toujours là. Ces nouvelles infrastructures rendaient les projets futurs moins coûteux et plus faciles. Après l'éclatement de la bulle Internet en 2001, les câbles en fibre optique se vendaient à quelques centimes d'euro. Les investisseurs ont très mal réagi, mais l'infrastructure de fibre optique a créé de la valeur pour les consommateurs et a permis à la génération suivante d'entreprises de se hisser. Ce surinvestissement dans l'infrastructure est souvent nécessaire au déploiement réussi de nouvelles technologies.

La bulle de des ICO, cependant, n'a pas eu les bons effets secondaires d'une bulle de type Perez. Il n'a pas produit suffisamment d'infrastructures pour aider l'écosystème de la chaîne de production à progresser.

Rapporté aux bulles précédentes, l'investissement de la cryptosphère dans l'infrastructure était minime et devrait être très bientôt obsolète. L'infrastructure physique - dans les opérations de minage, par exemple - a peu de chances d'être utile. L'augmentation de la puissance de minage sur une blockchain a pour effet de réduire considérablement les rendements et les marges et présente des caractéristiques différentes de celles des infrastructures traditionnelles. Contrairement à une ville qui se dote d'un nouveau câble à fibre optique ou d'un nouveau canal, les nouveaux utilisateurs n'ont pas accès à la blockchain grâce à de mineurs supplémentaires. De plus, il est peu probable que le minage par preuve de travail (proof of work) soit la meilleurs voie à suivre pour aller de l'avant.

L'infrastructure immatérielle était également minime. Les outils que l'on peut qualifier d'"infrastructure de base de la blockchain" ne sont pas facilement accessibles sur le marché ICO. Les outils de développement informatiques, les portefeuilles, les clients logiciels, les langages de contrat intelligents accessibles et les services cloud (pour n'en citer que quelques-uns) sont l'infrastructure qui conduira la technologie blockchain vers la maturité et le déploiement complet. Les capitaux facilement obtenus par l'intermédiaire des ICO ont principalement été affectés à la couche d'application (impliquant parfois que toute la maison soit construite sur une fondation rudimentaire). Cela a incité les gens à se concentrer sur ce qui était facilement finançable plutôt que sur ce dont ils avaient le plus besoin. Ces incitations perverses ont peut-être même nui au développement d'infrastructures clés et fragmenté l'écosystème.

Je ne veux pas désespérer de l'état de l'écosystème
. De bonnes choses sont sorties de la bulle des ICO. Le talent a saturé l'espace. Les startups ont expérimenté sur de multiples cas d'utilisation pour voir ce qui fonctionnait. De nouvelles blockchain ont été lancées, intégrant un large éventail de nouvelles technologies et approches. De nouvelles technologies sont apparues sur le marché. De nombreux projets d'infrastructure de base ont mobilisé des capitaux et réalisé d'importants progrès techniques. Les entreprises ont mis en place des stratégies blockchains. Des entreprises très performantes ont vu le jour, qui continueront à financer l'innovation dans le domaine, et l'écosystème dans son ensemble continue à évoluer à une vitesse vertigineuse. Globalement cependant, la bulle n'a pas laissé dans son sillage l'infrastructure à laquelle on pourrait s'attendre après une bulle de type Perez.

Les liquidités sont arrivées tôt

La bulle des ICO de 2018 s'est produite au début du cycle de vie de la technologie de la blockchain, pendant sa période de gestation, ce qui est beaucoup plus tôt que le cadre de Perez ne l'avait prévu. Cela s'explique par le fait que la technologie elle-même a permis d'obtenir des liquidités plus tôt dans le cycle de vie. Les actifs financiers sont devenus liquides avant même que la technologie sous-jacente n'arrive à maturité.

Durant la bulle Internet, il a fallu de nombreuses années aux sociétés pour s'introduire en bourse et, à ce titre, il y avait un certain seuil de qualité et quelques exigences de déclaration. Ce processus a permis à la technologie de se renouveler et de s'améliorer avant que la liquidité n'arrive. Dans la mesure ou la blockchain offre la possibilité d'émettre des liquidités en jetons pratiquement gratuitement, la tendance a été de créer des jetons Il était ainsi possible de créer un actif liquide sans avoir à travailler sur la technologie sous-jacente. La strate financière est passée directement à l'état liquide alors que la technologie restait figée. Les jetons qui en ont résulté se trouvaient sur des marchés très étroits qui étaient fortement stimulés par la dynamique du moment.

En raison de cette liquidité précoce, la dynamique d'une bulle a pu commencer tôt pour l'écosystème de cette technologie. Après tout, ce n'était pas la première bulle de la blockchain (bitcoin a déjà une riche histoire de bulles et d'accidents). L'étroitesse des marchés dans lesquels ces actifs existaient a probablement accéléré la dynamique de la bulle.


Ce sur quoi l'espace Blockchain doit se concentrer maintenant


Au sortir d'une bulle, M. Perez décrit deux éléments nécessaires permettant de déployer avec succès des technologies nouvelles et durables : des modèles économiques éprouvés et reproductibles et une infrastructure facile à utiliser. La blockchain n'a pas encore atteint ces objectifs, et c'est donc la démonstration assez évidente que la blockchain n'est pas encore parvenu à un "point charnière".

Bien que le développement de protocoles se fasse rapidement, la blockchain n'est pas encore adaptée à un déploiement de masse dans un nouveau paradigme technico-économique. Nous ne disposons pas des modèles d'affaires éprouvés et reproductibles qui permettent de fonder des stratégies B to B. Les exchanges les sociétés de minages, qui sont les principales réussites de la blockchain, ne sont pas des modèles économiques reproductibles et ne sont pas transversales aux industries. Nous n'avons pas encore l'infrastructure nécessaire pour une adoption de masse. De plus, les cas d'utilisation qui gagnent du terrain sont surtout à l'appui du système économique actuel. Komgo utilise la blockchain pour améliorer une industrie incroyablement désuète (trading financier), mais elle fonctionne toujours dans le cadre du paradigme économique existant.

La blockchain est donc encore dans la "période de gestation". Avant que la plupart des technologies ne puissent entrer dans la phase d'irruption et transformer l'économie, on a vu qu'elles étaient utilisées pour renforcer l'économie existante. Dans le cadre de la blockchain, cela ressemble à ce qui se passe avec les solutions privées et de consortiums.

Certains acteurs de l'écosystème voient cela comme un mauvais résultat. Je considère pour ma part que c'est absolument crucial. Sans ces expériences, la blockchain risque de disparaitre en tant que mouvement technologique avant même qu'on lui donne la chance de mûrir et de se développer. En fait, un domaine où ConsenSys n'a pas le crédit qu'il mérite, à mon avis, est celui de l'intégration des entreprises dans la blockchain d'Ethereum. Cet intérêt de l'entreprise permet d'attirer plus de talents, de jeter les bases d'une infrastructure supplémentaire et de conférer de la crédibilité au domaine. Je suis plus enthousiasmé par l'utilisation de la blockchain par les entreprises aujourd'hui que par tout autre développement à court terme.

L'avenir de la frénésie blockchain

Ce n'était pas la première bulle de la blockchain. Je ne m'attends pas à ce que ce soit la dernière (mais j'espère que certaines leçons seront tirées des 12 derniers mois). Le cadre de Perez appliqué à la blockchain en tant que modèle d'affaires reproductible indique qu'une autre période d'investissement frénétique se produira, conduisant probablement à une bulle. Comme l'écrit Fred Wilson, "Carlota Perez [démontre] que rien d'important ne se passe sans accident. "Compte tenu du montant de capital disponible, je pense qu'il s'agit d'un développement très probable. Compte tenu de l'énorme potentiel de la technologie blockchain, la bulle est susceptible d'impliquer plus de capital que celle de 2018.

Cette prochaine frénésie aura les mêmes signes annonciateurs que la précédente. L'importance des fondamentaux diminuera, les investisseurs particuliers entreront sur le marché par crainte d'être laissés pour compte, les escroqueries augmenteront, et ainsi de suite.

Quelques leçons pour les entreprises blockchain

Le cadre de Perez offre deux leçons stratégiques directes pour PegaSys et pour tout projet de développement de protocole sérieux dans l'espace de la blockchain. Premièrement, nous devrions continuer à travailler avec les entreprises traditionnelles. Travailler avec ces entreprises permettra à la technologie d'évoluer et favorisera l'expérimentation de modèles d'affaires. Il s'agit d'un élément clé du cycle de vie de la technologie et de la meilleure des manières d'aider l'écosystème à se renouveler.

Deuxièmement, nous devons continuer d'investir dans l'infrastructure et les diverses technologies pour que l'écosystème réussisse. Cela peut paraître évident au premier abord, mais le fait est que nous allons passer à côté du nouveau paradigme technico-économique si nous nous concentrons uniquement sur les opportunités qui sont commercialement viables

(la suite est une promotion de l'approche d'Ethereum)

Jump to: