Je me permets de répondre à ton thread, étant donné les interactions que l'on a pu avoir depuis hier.
👉 Tu racontes très bien le trilemme des algorithmes de consensus, c'est même intéressant et je pense instructif pour beaucoup.
Aucune surprise en revanche pour ceux qui ont ne serait-ce que mis le nez dans le livre blanc de Bitcoin. L'approche choisit par Satoshi y est abordée et justifiée, y compris les risques liés à l'attaque 51%.
Tu n'abordes à aucun moment l'influence qu'opère l'incentive économique liée au jeton bitcoin sur la sécurité du réseau alors qu'elle est MAJEURE. Les notions de théorie des jeux, le dilemme du prisonnier, l'équilibre de Nash sont complètement éludés alors qu'ils sont la clé qui maintien l'intérêt pour chaque participant de contribuer à la stabilité et à la sécurité de l'ensemble du réseau (le fameux angle "safety" de ton trilemme).
Tu le dis, "l'approche intellectuelle proposée par Satoshi Nakamoto pour contourner l'impossibilité du consensus est très élégante et originale". Elle est d'autant plus élégante que la survenance potentielle d'une attaque 51% n'aurait qu'un impact temporaire et limité sur le réseau.
Andreas Antonopoulos en parle très bien dans cette vidéo, il y a... 8 ans :
https://youtube.com/watch?v=ncPyMUfNyVM. Tu surestimes ici très largement le pouvoir des mineurs dont la situation dépend sur bien des points des noeuds du réseau (les vrais maîtres de la place).
Jusqu'à maintenant aucune attaque 51% n'a eu lieu et la sécurité du réseau se renforce de jour en jour. Le temps de fonctionnement de Bitcoin depuis sa création est de 99,99% (
https://buybitcoinworldwide.com/bitcoin-uptime/), un chiffre sans équivoque.
Bref, contrairement à ce que tu dis dans ton thread "ces travaux d'informatique distribuée sont peu connu du grand publique et des fans de crypto", ces travaux sont totalement connus et traités depuis les premières heures de l'histoire du réseau Bitcoin et Satoshi Nakamoto a réussi à trouver un équilibre tout bonnement incroyable. Personne d'à peu près sérieux dans ce secteur n'ignore que la "blockchain" de Nakamoto découle de dizaines d'années de travail qui l'ont précédé.
👉 Cela dit, je suis d'accord avec toi, le risque 0 de faille du protocole n'existe pas et comme tu dis, "il n'existe pas de protocole miracle".
Tu n'abordes en revanche à aucun moment la notion de fork, l'amélioration constante du protocole à travers les BIP, le caractère open-source du code qui en fait un sandbox pour des milliers de white et black hats, le tout avec un Bitcoin qui fonctionne parfaitement depuis 13 ans.
Tu prends d'ailleurs comme exemple de défaillance celui de The DAO qui a eu lieu sur... Ethereum. Défaillance qui a provoqué un fork dont la branche restée sous le nom de "Ethereum" fonctionne parfaitement aujourd'hui et représente la 2ème cryptomonnaie du marché.
Si tu veux parler de défaillance sur Bitcoin, tu peux par exemple aborder la façon dont les quelques problèmes passés ont été résolus. Au pif, l'exemple de l'overflow bug en 2010 qui a été patché en quelques heures sans aucun dommage :
https://twitter.com/_Cryptique/status/1488597375220432898👉 Tu compares les risques liés à la défaillance d'un protocole décentralisé par rapport à ceux d'un système bancaire centralisé. Et tu as raison sur certains points.
Les banques sont en effet légalement responsables et soutenues par des institutions publiques. Bitcoin lui, est seul dans sa merde : personne ne viendra le sauver s'il y a un problème. L'utilisateur est responsable et ne peut pas compter sur un autre pour être sauvé.
Inutile de répéter les points précédemment exposés sur l'aspect sécuritaire. Mais au-delà de ça, tu n'abordes à aucun moment le fait que nos banques et institutions publiques ont, à l'échelle mondiale, montré 10000 fois moins de résilience que Bitcoin comme protocole.
Tu ne parles pas des conséquences des sauvetages bancaires sur nos économies, sur les inégalités, et ce depuis des années. Tu n'évoques pas le fait que l'histoire a montré la défaillance du système bancaire et financier à de nombreuses reprises et le coût pour le grand public de décisions prises de façon discrétionnaires (cf. 2008). Tu ne parles pas non plus des dérives menées dans des pays démocratiques pas si loin de nous (Chypre 2013) qui ont montré que la dépossession de la propriété privée et ici la spoliation de la richesse n'est pas un mythe.
Tu te places aussi comme un Homme occidental et tu négliges totalement les préoccupations de certaines populations exposées quotidiennement au risque de spoliation, de censure et plus globalement au risque d'être dépendant d'un organe qui centralise les pouvoirs.
À ton avis, où est le plus grand risque pour un Libanais qui fuit l'effondrement économique et la saisie de ses richesses, pour un Nigérian qui voit les possibilités de disposer de son argent réduite progressivement à néant, pour un Vénézuelien dont la monnaie connaît une inflation de milliers de pourcents, pour un Kenyan qui n'a pas accès au système bancaire tout en ayant parfois accès à Internet ? Du côté de la fiabilité d'un procotole ou du côté de la défaillance de leurs institutions ? Est-ce vraiment "un arbitrage totalement stupide" ?
Bref, tu ne cites pas les nombreux exemples de dérive, d'effondrement des systèmes centralisés et le fait que la transformation des tiers de confiance en tiers de défiance a TOUJOURS été le sens de l'histoire, notamment en matière d'émission monétaire.
Cela ne veut pas dire qu'il faut être marginal, tout abandonner, perdre toute confiance. Non, il y a beaucoup de bon dans tout ça aussi et je suis absolument d'accord avec toi pour dire que c'est bien plus simple de faire confiance à des institutions. Cela ne veut pas non plus dire que Bitcoin est parfait et qu'il est la seule issue. Cela veut simplement dire qu'une alternative est la bienvenue, qu'elle fonctionne et qu'elle mérite d'être étudiée.
D'ailleurs, la pire chose qui pourrait arriver au Bitcoin serait que ces tiers de confiance et institutions, aussi nombreux soient-ils, redressent la barre sur un certain nombre de dérives. En attendant, le Bitcoin intéresse une partie de la population.
👉 Tu parles de la lenteur des blockchains sans aborder une seule fois le trilemme (encore un) auxquelles elles font face. C'est sans doute d'ailleurs le passage le plus WTF de ton thread : aborder la question de la montée en charge (scalabilité) sans évoquer le rôle des solutions de seconde couche (layers 2) est une hérésie.
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Satoshi Nakamoto lui-même parlait de cette problématique il y a plus de 12 ans et avait théorisé des solutions. Le Lightning Network (et d'autres solutions dans le futur), permettent aujourd'hui d'opérer des transactions totalement instantannées
Au-delà de Bitcoin, divers altcoins ont aussi développés leurs solutions pour naviguer différemment sur ce trilemme. Elles ont toutes leurs avantages et inconvénients, mais négliger ce point montre une certaine méconnaissance du sujet ou une certaine mauvaise foi.
👉 Sur l'utilité de Bitcoin, j'en ai beaucoup parlé dans ce début de réponse mais ton point de vue est intéressant.
À la question de savoir si c'est utile, tu juges que "oui et non", ce qui est marrant au regard du fait que tu disais hier que "cette techno a zero cas d'usage 😭😭". Tu prends l'exemple de SciHub dont tu as fait un thread (
https://x.com/pierre_jacquel2/status/1648633158047260672?s=20) en évoquant le fait que cela "ne représente qu'une minorité des dons et ce n'est qu'un choix de seconde main" alors que SciHub précise qu'ils n'ont PAS le choix et n'acceptent QUE les cryptomonnaies.
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C'était pareil pour WikiLeaks (
https://x.com/_Cryptique/status/1706188791898361893?s=20), pareil pour Snowden, le tout totalement documenté par les intéressés eux-mêmes. Il est donc assez amusant de te voir défendre dans ton thread épinglé le libre accès à l'information quand l'exemple en question montre typiquement les dérives d'organes centralisés.
Tu dis d'ailleurs qu' "Un site comme SciHub devrait être accessible à tous, et financé publiquement" : oui, félicitations, c'est tout le sujet !
Tu dis que "peut être que se concentrer sur batir des institutions solides en lesquelles la pop peut avoir confiance est un moyen plus pertinent que de compter sur des crypto, au moins à moyen/long terme" : tu as tout à fait raison. J'attends en revanche tes solutions, car des millénaires d'histoire montrent que l'Homme n'y est pour l'instant pas parvenu.
"C’est une expérience éternelle, que tout Homme qui a du pouvoir est porté à en abuser." - Montesquieu, De l'Esprit des Lois. C'est le sens de l'histoire, depuis toujours. Là encore, ne te méprends pas à mon sujet : je ne vois pas le Bitcoin comme la solution parfaite, mais une comme une alternative élégante qui mérite d'être étudiée.
Tu dis d'ailleurs qu' "on est loin du cas d'usage théorique de servir de systéme bancaire globale qui était l'ambition du Bitcoin." Cette ambition n'est pourtant écrite nulle part dans le livre blanc de Bitcoin : a peer to peer electronic cash system.
L'utilisation du Bitcoin est celle que ses utilisateurs choisissent d'en faire, rien de plus, rien de moins.
👉 Vous avez raison, l'omniprésence des plateformes d'échange centralisée est une incohérence et une problématique dénoncée par beaucoup. C'est un des combats mené par une partie de la communauté.
Il existe en revanche évidemment des solutions pour se procurer des cryptomonnaies sans passer par ces tiers (vente de biens ou services contre BTC, minage, acceptation des paiements en BTC, etc.).
Le nombre de Bitcoin stocké sur une plateforme d'échange est d'ailleurs en baisse depuis un moment (11% actuellement). De plus en plus d'utilisateurs comprennent l'importance de se passer de ces tiers et de prendre possession de leurs actifs.
👉 Mon avis se rapproche du tiens concernant le caractère monétaire du Bitcoin. Intrinsèquement, il est au mieux une monnaie en devenir, mais pour le moment, pour sûr, un actif inclassable et aux multiples facettes.
Je comprends en revanche que certaines populations, dans certaines zones, passent au-dessus des éléments que tu exposes et s'approprient le Bitcoin à défaut d'avoir mieux (et avec certitude, souvent, de ne rien avoir ou d'avoir pire). Le simple fait, d'ailleurs, que le Salvador en ai fait monnaie ayant cours légal suffit en soit à nous clouer la bouche. Une mauvaise monnaie, peut-être, mais une monnaie reconnue par un État souverain.
Certaines de tes remarques sont par ailleurs à nuancer. Tu cites le fait que peu de commerces acceptent pour le moment le Bitcoin et c'est totalement vrai. En revanche, difficile de tirer des conclusions hâtives sur ce point. Il faut du temps au temps, surtout pour un protocole sorti des limbes d'Internet et des mains d'un anonyme. Protocole qui ne reçoit le soutien d'aucune institution publique, ou presque.
Aussi, tu dis que l'unité de compte pose problème : "Ce qui veut dire que si vous achetez un produit à un euro, son prix sera d'environ 0,00001." Cela montre que tu connais pas la notion de "satoshis", l'unité du Bitcoin, ou que tu la négliges volontairement. Ce problème n'en est pas un.
Tu dis aussi que Bitcoin est trop cher "environ 10 000e" alors qu'il en vaut près de 3 fois ce prix. Simple erreur ou mauvais recopiage de l'ouvrage dont tu t'es inspiré ?
Quoi qu'il en soit, sur le sujet du caractère monétaire ou non de Bitcoin, je t'invite dans tous les cas à consulter les réflexions de personnes comme @ydemombynes
ou @jfavier92300
.
👉 Autre point, qui est une remarque généralé : tu critiques certains points relatifs au Bitcoin et conclu à de nombreuses reprises que cela en fait un mauvais actif, ou en tout cas un actif inapproprié à plein de tâches. Tu ne fais en revanche jamais ce travail sur le système bancaire et monétaire.
Tu laisses souvent paraître le fait que le Bitcoin devrait parfait pour mériter d'être considéré. Et qu'à défaut, il n'aurait aucune utilité. Cela me semble révéler une certaine mauvaise foi.
À nouveau, le Bitcoin se présente comme une alternative. Personne n'est obligé de s'en servir, personne n'est obligé de le comprendre. Il est donc difficilement compréhensible de voir un tel rejet, voir même une telle haine, dans certains des propos qui ont été les tiens ces dernières 24h et ceux d'une foule ravie de pouvoir se complaire dans des propos qui valident son propre biais péjoratif.
👉 Dernier point : tu n'abordes à aucun moment la notion de MNBC, les risques associés à leur développement, les risques liés au contrôle et à la surveillance de masse permise par le numérique. Il s'agit de préoccupations réelles pour lesquelles le Bitcoin représente parfois une alternative (ce mot revient souvent).
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Pour conclure, c'est assez drôle de te voir beaucoup plus mesuré ici que la grande gueule que tu as pu avoir ces dernières 24h :
https://x.com/pierre_jacquel2/status/1707154679526723647?s=20Je cite par exemple ta réponse à mon tweet (
https://x.com/_Cryptique/status/1706970211054719166?s=20) qui soulignait la richesse, la complexité et la diversité des thématiques abordées à travers le Bitcoin : "T’écris beaucoup pour dire que t’es un bullshiteur sans le bagage technique pour capter que cette techno a zero cas d’usage 😭". Je pense que cet échange de threads met plutôt bien en relief le point que je souhaitais soulever.
On a cette fois, je cite, "quelques usages plus ou moins pertinents" et une "approche intellectuelle proposée par Satoshi Nakamoto très élégante et originale." On a surtout un ton un poil moins provocateur et des éléments qui peuvent être discutés et qui sont intéressants.
La prochaine fois, tu verras qu'il est sans doute plus constructif d'être courtois et bienveillant plutôt que de jouer au cow-boy. Mais fais gaffe, je suis pas sûr qu'on apprenne ça en Master ou Doctorat.